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GOUVERNANCE DU SPORT - LE DÉMONTAGE DU MODÈLE SPORTIF FRANÇAISEn revanche, ce GIP sous perfusion de fonds publics, créé de toutes pièces pour s'accorder au mantra présidentiel, risque de mettre à bas la logique éprouvée depuis les années 1960 (selon le projet lancé par Maurice Herzog sous Charles de Gaulle) de faire se concilier les missions éducatives, sociales, de santé et de performance en fonction de politiques concertées au plan national d'enseignements, de détection, d'accompagnement et d'objectifs de résultats mises en place par des cadres techniques sur des temps longs, en cohérence avec un socle théorique solide. Du bas au haut de l'échelle, les fédérations bénéficiaient des compétences, par exemple, des conseillers techniques sportifs (CTS), dépendant du ministère, agissant en concertation avec les fédérations mais en toute autonomie puisqu'ils n'en dépendaient pas directement. Ce qui garantissait, entre autres, le suivi et l'expertise de programmes de formation, sur des temps qui n'étaient pas calculés en fonction d'un simple calendrier d'événements sportifs, ou d'un objectif électoral. Ces conseillers constituaient la colonne vertébrale de politiques publiques menées à travers les fédérations et, logiquement, ils étaient soutenus par l'État. Ce qui ne veut pas dire que les fédérations ne croisaient pas déjà d'autres financements, privés, d'entreprises, le plus souvent attirées par l'image positive du haut niveau pour améliorer l'ordinaire, puis le professionnalisme aidant, pour contribuer au développement du sport et rétribuer des athlètes. Aussi peut-on dire que l'hybridation économique public-privé voulue par Emmanuel Macron était déjà en place avant même qu'il ne pense révolutionner le fonctionnement de ce secteur. D'un autre côté, si son idée véritable n'était que de réduire des postes de fonctionnaires au ministère, voire de le supprimer – ce qui se discute –, peut-être qu'un transfert de compétences aux fédérations à travers un "Pôle national" aurait amplement suffi. Nul n'était besoin de créer une structure supplémentaire, qui s'ajoute, avec quelque 80 personnes sur le pont (20 millions d'euros de coûts de fonctionnement), à ce qui se faisait déjà ailleurs : arbitrages des subventions de l'État, recherche de partenaires, décisions et actions dans le temps visant aussi bien à réussir les jeux Olympiques qu'à apprendre aux enfants français à savoir nager, à travers les financements du feu Centre national de développement du sport (CNDS), qui a beaucoup fait notamment pour le handisport, le sport féminin et les infrastructures sportives locales. Autant de décisions politiques sociales donc, soit dit en passant. D'autres hypothèses auraient pu être étudiées, comme la possibilité de rapprocher plus encore le sport de l'éducation nationale ou de la santé afin que le sport de compétition se concentre sur ses véritables missions. Autre inconnue : l'implication des partenaires privés dans le GIP. À vrai dire, le privé est déjà bien présent dans le financement des fédérations ou par des partenariats avec des athlètes. Certes, le haut niveau concentre l'essentiel de leurs apports, mais seront-ils intéressés ou contraints à l'avenir à soutenir une politique globale du sport ? Rien n'est moins sûr. Par ailleurs, les seules mannes privées sont déjà largement captées par le Cojo et le CNOSF (Paris 2024 oblige), ce qui nécessite une prospection au-delà des entreprises déjà impliquées dans le sport. Enfin, dans les souhaits du gouvernement de transmettre tout ou partie du financement du sport français, il omet une donnée fondamentale : une fédération n'est pas un club. Penser qu'un sponsor ou un partenaire puisse abonder pour financer la partie invisible de la mission de service public, assurer un travail de terrain auprès de la jeunesse, former des arbitres, des bénévoles, veiller à l'accompagnement du secteur associatif et des clubs les plus obscurs peut laisser pensif. Sans doute, quelques riches fédérations pourront-elles assumer sans problème une bonne part de ces nouvelles dépenses, mais respecteront-elles le cadre existant, ne succomberont-elles pas à une attirance déjà très marquée pour le niveau d'excellence qui, sans le travail en profondeur de techniciens loin de l'élite ne régénérerait pas cette dernière ? Contrairement aux pays anglo-saxons, nous ne possédons pas en France un système scolaire ou universitaire en mesure d'assurer ce travail. Et si la majeure partie des CTS sont lâchés dans la nature, sans assurances statutaires, beaucoup iront sans doute proposer leurs compétences à l'étranger, où ils seront certainement mieux payés. Et qui formera leurs successeurs ? Qui encadrera les fédérations naissantes ? Autant de questions auxquelles les membres de l'ANS devront rapidement répondre pour ne pas la laisser apparaître comme vide de sens. Laissons-lui le bénéfice du « work in progress » mais en attendant, si la structure existe, le plan de route est flou. La question aujourd'hui n'est donc pas seulement de savoir si les CTS vont changer de statut (passer de fonctionnaires à salariés du privé et donc révocables à merci), mais de dire comment s'opérera la bascule et avec quelles garanties quand les subventions aux fédérations se tariront pour eux : quels seront les programmes communs pour que le haut et le bas ne se désolidarisent pas ? On peut craindre qu'il arrive au sport ce qui est déjà à l'œuvre dans la culture, où les initiatives privées sont encouragées davantage sur des aspects annexes (favoriser le tourisme, estimer la valeur d'une exposition au nombre d'entrées au musée ou de rapporter la vente de pop-corn au succès d'un film, faire du seul nombre de ventes d'un livre une preuve de qualité éditoriale). Sans réflexion sur le nécessaire bagage de savoirs acquis et de ceux à acquérir pour pouvoir apprécier ou pas la pertinence de tel ou tel projet, petit ou grand, la singularité du sport français qui pouvait s'aménager un temps d'avance dans ses grandes orientations pourrait avoir vécu. Ce temps précieux qui assure un progrès par la transmission et la création de nouvelles compétences en fonction de diverses nouvelles recherches, techniques, bref, innovations souhaitables, pourrait fondre au profit de seules exigences comptables et d'objectifs immédiats. Le rôle de l'État serait donc plutôt de protéger des effets de comptabilité pure ses ressources humaines, de les utiliser comme moteur de cohésion sociale, produisant de la valeur et des valeurs, au lieu de vouloir faire du sport une vitrine vouée à la seule consommation à court terme et, donc, plus hasardeuse. Or, au prétexte d'économies de bouts de chandelles et pour hâter la transition vers le privé, le gouvernement a d'ores et déjà décidé de fermer le concours de recrutement des CTS. Olivier Villepreux Source : le blog "Contre-pied, le sport là où on ne l'attend pas" * Olivier Villepreux : Journaliste, auteur, a écrit, traduit et dirigé chez différents éditeurs de nombreux ouvrages sur le sport et sur la musique. Il a en outre réalisé plusieurs documentaires pour la télévision. Après avoir travaillé à L'Équipe et Libération, il est devenu indépendant en 2007. Il tient sur lemonde.fr le blog "Contre-pied". Il est rédacteur en chef de la revue musicale "Delta t", dont il est l'initiateur. A consulter aussi
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